Le cœur de cristal

Extrait du recueil "Les mots dits"

La beauté incarnée, mais si mal dans son corps,
Elle cachait des carnets dans des boîtes aux trésors.
Des centaines de pages, griffonnées de douleurs,
Déchirées avec rage aux premières lueurs.

Elle espérait, qu’un jour, les boîtes soient forcées,
Et qu’un ange d’amour lise enfin ses pensées.
Qu’il transforme, d’un geste, du revers de sa main,
Toutes ces pages indigestes en blancs parchemins.

Elle devenait femme, mais c’était une enfant,
Qui promenait son âme dans les limbes du temps.
Son cœur était si pur qu’on voyait au travers,
Il battait sous l’armure des souvenirs amers.

Mais son cœur de cristal ne pouvait résister
A la ciguë fatale de sa lucidité.
Comment peut-on vivre, quand on sait déjà tout ?
Sans devenir ivre, sans devenir fou.

Dans un dernier espoir, elle a repris sa plume,
Puis glissé dans le noir, par une nuit sans lune.
Sur la dernière page, d’un dernier manuscrit,
La beauté sans visage nous adresse ce cri :

« Il n’y a pas d’âmes sœurs, pas plus d’esprits frères,
Quand viennent les heures de grande misères.
Ça t’arrache la gueule quand tu t’en aperçois,
Dans la vie on est seul, et c’est chacun pour soi. »

Eric SPANO
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